Friday, January 14, 2011 to Saturday, February 19, 2011

    Opening
    • Saturday, January 15, 2011 to Saturday, February 19, 2011
    À première vue, les paysages de Daniel Corbeil semblent représentés de vrais endroits. Les grandes images photographiques de Paysages morcelés ressemblent à des photographies prises du haut du ciel en différentes saisons. Les images, minutieusement collées avec du ruban adhésif bleu d’archivage, sont des modèles réduits d’endroits fictifs que l’artiste a réalisé après qu’il eut perdu la plupart de ses œuvres dans l’incendie d’un studio 1. Inspirés des mines de l’Abitibi, région du nord du Québec, les modèles (que l’artiste a mis 13 ans à réaliser) sont aussi la base de la grande installation Complexe industriel; ensemble, les modèles et l’installation font l’exposition. L’œuvre, à plusieurs sens, traite de questions environnementales, d’effacement, de paysages, de morcellement, d’espaces liminaux et de perception. L’artiste a grandi dans le nord du Québec, en Abitibi, une région reconnue pour ses mines de métaux lourds comme l’or et le cuivre. Cette activité marque grandement le territoire et la contamination en rend certaines parties inhabitables. Puisant à même ses souvenirs, Corbeil recrée un croisement entre carte et paysage, ou « abstraction et fiction » 2. Parcelles vertes difformes, formations rocheuses, édifices rouillés en ruine sont en fait des miniatures placées de façon stratégique sur un sol contaminé, puis photographiées. La fabrication fait partie du processus de l’artiste et elle joue un rôle dans l’acte de regarder et de créer la fiction. Dans les paysages occidentaux traditionnels qui surplombent de grands espaces, l’œil est manipulé pour que le regard soit porté dans une direction en particulier le long d’un plan linéaire, ce qui crée un certain imaginaire et soutient une vision globale. Le travail d’observation par satellite de Corbeil crée un type d’image qu’on retrouve fréquemment dans l’imagerie des cartes Google. Avec cette vue d’en haut qui aplatit le paysage, les humains ont accès à une perspective qui était jadis réservée aux dieux seuls. Le regard se fixe alors avec domination, détachement ou soumission, cependant toujours avec puissance ou impuissance. Puissance, puisque ce panorama crée l’illusion de tout voir, autant qu’une forme de déresponsabilisation parce que, même si l’œil peut tout voir, il ne peut rien changer aux situations qu’il perçoit. Le ruban bleu brise la cohérence des paysages en tant que documentation véritable; il s’empare de la stabilité même de l’image puisque le regard n’est plus guidé mais interrompu. Le morcellement fait obstacle à la structure statique d’une carte géographique fiable et permet l’abstraction; les ombres d’avions et les formes géométriques des édifices rétablissent la possibilité d’une carte satellite. Le ruban adhésif fait ressortir la maladresse de la reconstitution et peut suggérer un sous-texte : après tout, qu’il soit expressément écrit ou sous-entendu, il y a toujours un sous-texte dans une histoire. La cartographie joue un rôle-clé dans tout processus colonial mis en application par des gouvernements, des entreprises ou des individus cherchant à revendiquer un titre de propriété. En transposant cette idée aux moyens, à l’endroit et à l’espace où se joue le pouvoir en Abitibi, l’on prend conscience que cette région du Québec est l’habitat de peuples et d’espèces dont les choix ont été restreints et dont les vies sont encore affectées par des intérêts industriels. Les politiques du territoire sont mises à nues par Corbeil qui illustre dans sa création un néo-paysage dans un monde néocolonial. Toute carte, en ne montrant pas ce qui manque, est un moyen efficace d’effacer des peuples (non) existants, puisqu’ils sont ainsi exclus du récit de la carte; elle permet aussi de perpétrer contre eux les assauts implicites qu’elle renferme. Le ruban marque l’espace entre deux endroits, ces lieux que nous ne voyons pas, probablement parce que trop occupés à passer d’un lieu à l’autre. C’est dans l’espace liminal que s’opère le changement; sur la carte, l’artiste se sert des transitions pour dévoiler l’illusion du texte de la carte, lu comme le symbole d’une prise de position particulière. Dans l’esprit de Baudrillard 3, la pièce tridimensionnelle Complexe industriel est la quintessence de la simulation. Pour cette pièce, l’artiste a créé des dessins à partir de cartes qu’il avait créées avec des miniatures issues de son imagination d’un endroit dont il se souvenait (le passé s’impose puisque les lieux peuvent changer au point de devenir méconnaissables, de même que l’expérience subjective apporte des éléments importants en conséquence). Toutes les références menant à la création des œuvres sont séparées de la réalité actuelle de l’Abitibi des années 1970. D’abord, par la mémoire, il y a les éléments de base d’une recréation crédible, une documentation qui révèle la prise de position de l’observateur et la lecture du spectateur (ou de l’artiste lui-même) qui sont laissés dans un état d’hyperréalisme. L’œuvre et ses éléments et ses objets sont issus de références personnelles. Corbeil réussit brillamment à questionner la nature même de la construction du paysage, et la façon de concilier perceptions et intentions. L’œuvre a pratiquement un caractère enjoué : elle évoque le désir de contrôler à grande échelle comme le font les enfants lorsqu’ils manipulent des jouets dans leurs amusements. Corbeil nous rappelle que les fabrications et les simulations ne sont pas la réalité, mais qu’elles ont le pouvoir de révéler des conceptions, des intentions et des désirs; les modèles deviennent ainsi la réalité de l’Abitibi, que cette réalité soit vraie ou imaginée. Leanne L'Hirondelle Diretrice / Commissaire, Galerie 101
    1. Correspondance avec Daniel Corbeil, 17 Décembre, 2010. 2. Correspondance avec Daniel Corbeil, 17 Décembre, 2010 3. Kellner, Douglas, “Jean Baudrillard”, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Winter 2009 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = http://plato.stanford.edu/archives/win2009/entries/baudrillard/