Don Gill marche
Paul Valéry disait que la marche revêtait une importance considérable dans son travail. En marchant, les idées lui venaient avec plus de clarté et le rythme de ses pas contribuait à donner à ses pensées la précision nécessaire pour le développement et l'apparence de son travail.
Enrique Vila Matas, un écrivain catalan, m'a dit que son voisin, l'auteur Juan Marsé, et lui avaient l'habitude de partir de sa maison de la Travessera de Dalt pour se rendre au Barrio Gótico en se donnant pour raison d'acheter des cigarettes. Pendant ces excursions, la conversation entre les deux auteurs leur faisait oublier leur intention de fumer jusqu'à ce qu'ils se perdent dans la vie nocturne de Barcelone.
En marchant dans la ville de Mérida au Mexique, nous avons découvert que les noms de rues ont été désignés non seulement pour y apposer des numéros municipaux permettant de calculer la dimension de la ville, mais choisis pour les noms étranges que portent certains coins et illustrés par des dessins les coins Chauve-souris, Vache et Canari provenant de légendes vieilles de plusieurs siècles qui rendaient plus facile la localisation des rues pour les anciennes populations qui ne savaient pas toujours lire. Pour Don Gill, la marche est la meilleure façon d'en arriver à un travail collectif.
La collaboration commence quand Don Gill choisit son compagnon de voyage et détermine avec lui deux routes parallèles : celle de la marche et celle de la pensée. Le vagabondage à travers la ville et les conversations aident les voyageurs à se confier dans un climat d'instabilité : leur découverte du paysage est tout aussi inattendue que les idées de l'autre. Ainsi, personne ne jouit d'une position privilégiée ou d'une situation confortable. Les deux voyageurs doivent affronter les mêmes pistes et paroles, dans des voyages parallèles, sans la médiation issue d'un conformisme ou d'une hiérarchie entre eux. Le seul vrai régulateur, qui peut être silencieux, agréable ou difficile, est le voyage lui-même.
Don Gill nous a invités, ma femme Ximena et moi, à marcher dans les rues de Mérida. À cause de l'immensité de Mexico, nous marchons peu dans cette ville que nous habitons. L'idée de la traverser à pied serait de la folie; ainsi, nous essayons de marcher le plus souvent possible à chaque fois que nous quittons Mexico. Nous avons accepté l'invitation de Don Gill avec plaisir. La chaleur était intense. Ensemble, nous avons discuté en traversant le Sud-Ouest, la soi-disant « Ville blanche » de notre pays, à travers les vestiges laissés par l'ouragan Isidore qui venait de s'abattre sur la ville quelques jours plus tôt. Des arbres immenses avaient été déracinés et projetés contre les murs de maisons majestueuses. Certains bâtiments étaient en ruine et, au bout de la rue, il y avait trois portraits de Rauschenberg peints sur un mur.
Nous savons que tout voyage est un apprentissage. Nous apprenons à rentrer à la maison; nous mémorisons certains noms de rues et leur associons certaines choses. Parfois, la forme d'une clôture ou les ombres projetées sur une route nous rappellent de très lointains souvenirs. Dans ses vidéos, Don Gill présente un rapport de cette expérience, dans laquelle le voyage d'un paysage et celui d'une pensée se déroulent en parallèle au moyen d'une image ininterrompue. Tout comme dans la marche dans la ville, pendant laquelle le marcheur parle et crée un lien entre ses mots et quelques rares points de repère, les croisements subtils, comme le vol d'un oiseau pendant que l'on discute de réalités métaphysiques ou l'impression laissée par un magicien quand un chiot se retrouve parmi les visiteurs d'un musée, nous mettent en présence d'une structure verbale jumelée à une image qui crée un essai visuel parallèle qui amplifie le sens des mots.
Don Gill s'intéresse aussi au point de rupture qui existe entre la réalité qui nous rejoint au hasard de la route et celle dont nous voudrions parler. Tout à coup, pour certains d'entre nous pour qui la marche est une activité inhabituelle et festive, les conversations s'entrelacent avec des coïncidences étranges issues du paysage qui, pour un instant, semble devenir la traduction bizarre de nos pensées intimes. Comme dans l'un de ces mélodrames, je pense que la pensée est semblable à un mille-pattes qui marche assidûment sur le bord de quelque chose, puis tourne subitement sans hésitation jusqu'au moment où il doit s'arrêter, puis explore et revient sur ses pas sans toutefois trouver une façon de s'arrêter. Nous marchons encore alors que l'impulsion nous guide.
Je me rappelle que, pour mémoriser mes leçons d'histoire, je marchais autour de ma table de travail, répétant les dates et les noms jusqu'à ce qu'ils s'impriment dans ma mémoire. Don Gill marche et nous fait apprendre des choses, la circulation dans l'essai, un voyage au milieu des idées.
-- Salvador Alanis, Mexico, mai 2004.
-- Jessie Lacayo, Commissaire
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Thursday, June 10, 2004 to Saturday, July 31, 2004
Opening- Thursday, June 10, 2004