En Occident, le portrait a longtemps été un emblème de l’individualité et, en particulier, d’une conception cartésienne d’une identité autonome immuable. Même si les portraits participent de façon importante à la fabrication de l’identité, ils sont, selon le spécialiste Richard Brillant, toujours dénotatifs : ils se rapportent à la vie de vraies personnes qui, d’une certaine façon, semblent laisser une trace d’elles-mêmes à l’intérieur de cette interprétation visuelle de leur apparence. La photographie – avec une indicialité hypothétique ou un statut de forme de représentation apparemment sans intermédiaire – accentue cet aspect du portrait; les portraits photographiques donnent au spectateur un semblant de rencontre directe avec le modèle ou le sujet du portrait qui semble figé dans le temps. Pour ces raisons, un certain nombre d’artistes influents – dont Cindy Sherman, Claude Cahun et Thomas Struth – ont exploité le moyen d’expression du portrait photographique pour affirmer l’identité comme une performance et pour explorer les rapports changeants des rencontres interpersonnelles et de la mémoire.
Videoportraits de Ross Birdwise s’attaque à ladite problématique du portrait. Cette série puise dans la puissance culturelle distinctive du portrait pour explorer la performance de l’identité tout en utilisant des techniques innovatrices pour mettre en valeur des stratégies de représentation qui soulignent cette performance.
Dans Videoportraits, les spectateurs rencontrent une série d’hommes et de femmes non identifiés, dont le regard, parfois impassible, est dirigé droit en leur direction. L’installation comprend quatre projections à grande échelle (d’environ 110 cm sur 150 cm) de personnes que le spectateur regarde à partir d’une position rapprochée propice à l’intimité. Les projections bouclent le cycle de la même série de huit enregistrements DVD en lecture déphasée; à première vue, tous ces enregistrements semblent reproduire le système de références de l’instantané photographique. Photographiés de face et représentés à partir des épaules, les modèles (qui sont tous des amis de l’artiste) ont tenté de suivre la consigne de Birdwise qui leur demandait de ne pas bouger et de garder un air inexpressif ou d’ennui. Ils sont placés devant une toile de fond représentant un décor familier : une rue animée, un trottoir, un chemin bordé d’arbres, un studio, un laboratoire informatique et un appartement. Dans la plupart des Videoportraits, les poses et la composition créent trois plans parallèles et distincts qui attirent l’attention sur le modèle à l’avant-plan tout en l’isolant du décor qui l’entoure.
Malgré tout, bien que ces œuvres imitent le format de l’instantané, elles ne sont pas, bien entendu, tout à fait des images. Avec les enregistrements DVD, dont la durée varie de 30 secondes à deux minutes, le mouvement est évident : les piétons courent pour traverser l’intersection, la neige tombe, les images défilent sur l’écran d’ordinateur, les voitures et les autobus passent et, à coup sûr, les modèles en viennent à perdre leur calme. Birdwise accentue ces disjonctions temporelles au moyen de l’édition, en créant des boucles qui ont l’effet de répéter et d’inverser le temps. Les boucles attirent l’attention sur le maniérisme des modèles : leurs moindres gestes et sons involontaires sont mis en évidence par la lecture ininterrompue du DVD. Un soupir, un sourire à peine esquissé ou une profonde inspiration, tous ces gestes qui semblent spontanés deviennent des actions routinières et machinales. Cela se répercute dans le son de l’enregistrement qui, pendant la lecture des boucles, se transforme en fragments rythmiques auditifs qui n’ont plus rien de familier. Birdwise s’est intéressé à ces petites ruptures dans le calme parce que pour lui elles représentent « un état de devenir » qui se situe avant ou après le déclenchement de l’obturateur de l’appareil photographique, ou une rupture dans le masque social. Elles mettent en évidence les façons que les modèles, en tentant de garder en temps réel une image fixe, jouent le rôle du portrait et, comme le dit si bien Birdwise, « se jouent eux-mêmes ».
Texte de Carol Payne, professeure adjointe
School for Studies in Art and Culture: Art History Université Carleton, Ottawa
Traduit par Marie-Thé Morin
La Galerie 101 tient à souligner l’appui d’Artengine.
-
Thursday, June 29, 2006 to Saturday, July 29, 2006
Opening- Thursday, June 29, 2006
