Friday, January 15, 2010 to Saturday, February 20, 2010

    Opening
    • Saturday, January 16, 2010
    La République d’El Salvador a été bouleversée par une guerre civile au cours des années 1980, alors que des forces soutenues par les É-U ont provoqué la mort de milliers de personnes, ce qui allait ébranler le pays et provoquer l’exil de milliers de réfugiés dans des pays comme le Canada. La famille d’Osvaldo Ramirez Castillo a dû se résoudre à quitter El Salvador. Les œuvres de Bestiaries (Bestiaires) sont autobiographiques, puisque que l’artiste puise à même son bagage personnel et culturel, et à même son vécu, pour envisager l’horreur et témoigner de terribles atrocités. Le refuge d’un réfugié n’est pas un havre de silence où l’on devient insensible à son passé. Castillo capte l’inexprimable. Les images crues et bouleversantes, qui se révèlent dans les détails des dessins finement rendus ainsi que dans les couleurs qui s’équilibrent tout en douceur, attirent le regard vers d’horribles images de membres désincarnés, de décapitations, de chiens fous et de sang. Ces images évoquent la mythologie précolombienne, des références coloniales et la guerre civile dont s’inspire l’artiste.[1] Dans les œuvres d’Origen de un a especie (Origines d’une espèce), l’image tatouée de la Vierge Marie, mère de Jésus, mains jointes, se trouve sur le dos d’un homme auréolé qui semble être enfermé dans un vase. Dans l’iconographie médiévale, le vase était un symbole du corps de la Vierge en tant que vaisseau porteur de vie. Jésus est le rédempteur des péchés de la race humaine. La main droite spectrale de l’homme tient une torche enflammée; une deuxième main droite tient fermement une machette. Un autre homme porte un stigmate à la main gauche, sa deuxième main serrant une corde qui semble vouloir dompter le corps de Quetzalcóatl, dont le corps serpente à travers l’image telle une racine écaillée. Quetzalcóatl est un dieu reptilien à plumes, symbole de la mort et de la résurrection, et créateur du monde.[2] Le torse de l’homme est une série de tendons à vif; assis au sommet d’un piédestal carré, l’homme porte un magasin d’arme à feu sur les hanches. Les personnages semblent défendre des histoires de création contraires, et le titre de l’œuvre en soutient une autre encore. Pendant la guerre civile, la bataille en El Salvador se jouait entre la droite et la gauche, avec plusieurs groupes faisant valoir leur légitimité de gouverner avec la Junte au pouvoir appuyée par les États-Unis. En décembre 1981, le Bataillon Atlacatl fut responsable du plus grand nombre de civils assassinés dans les Amériques à l’époque contemporaine, causant la mort de 900 personnes. Dans La raza Express, un personnage bestial à crocs se tient plein d’assurance une arme à la main; près de lui, il y a un camion rempli d’hommes débraillés, armés de couteaux, et qui s’attachent aux articles de l’impérialisme américain, « trésors » qu’ils ont sur eux, comme une souris Mickey et un t-shirt « J’aime NY ». Une parabole biblique rapporte que Lazare fut réconforté au ciel parce qu’il avait accepté son sort terrestre de pauvreté et de souffrance. L’homme riche qui avait refusé de lui venir en aide fut frappé de la damnation éternelle. Aux enfers, l’homme riche supplie le ciel de l’aider mais l’abîme entre les deux mondes est trop grand. La parabole se rapporte à la brutalité et à ses conséquences, soit la souffrance physique faite aux victimes en raison de la nature des actes horribles commis par les personnes au pouvoir, qui font des choix qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’homme riche qui a abandonné des personnes dans le besoin sur la terre.[3] La raza fait allusion à une compétition ou à une catégorisation, à la vie comme une course dans le sens occidental de la chose (c.-à-d. l’idée du progrès), à un concept biologique (le darwinisme), ou à l’idée erronée de la race comme facteur anatomique qui détermine les traits de caractère. Une expression ultime de l’anthropomorphisme, avec des hybrides d’animaux et d’humains, est évidente dans l’ensemble de l’œuvre. Les têtes humaines sont remplacées par celles de chiens, d’oiseaux, de reptiles et d’autres espèces. Sur le plan allégorique, les animaux ont un rôle à jouer dans une vision chrétienne du monde, eux qui subissent la loi des hommes; ils appuient le concept occidental de la domination. Dans les œuvres, ils sont fragmentés, ils tombent en morceaux avant d’être parfois reconstitués de façon grotesque dans des formes qui ne sont ni tout à fait humaines ou animales. En Amérique centrale, l’hybridité est une vieille tradition qu’on observe souvent dans la représentation des déités : c’est peut-être une façon d’exprimer les pouvoirs et les positions indissociables d’une certaine vision du monde. Castillo définit son travail comme un « acte personnel de révision ».[4] Comment se mettre au service de la mémoire? Comment une personne peut-elle témoigner d’atrocités qui l’ont forcée à fuir? L’Histoire est faite par les personnes qui tiennent la plume et qui donnent une conclusion au passé au moyen de la légitimité de l’écriture. La révision fait partie de toute histoire ou de tout fait historique déclaré. Walter Benjamin affirmait que : « Quand on nomme une chose, il n’est plus possible de communiquer autre chose par la suite… »[5] Mais nommer une chose en terme métaphorique ou allégorique ne mène pas nécessairement à une conclusion; on peut plutôt y voir une plus grande interprétation et une plus vaste reconnaissance pour traiter des notions de vérité et de réalité en des termes infinis. Les Bestiaires de Castillo sont plurivoques, complexes et variés, avec une formidable puissance d’évocation dans les détails et significations. L’artiste rappelle à ceux et celles qui n’ont jamais connu la guerre la capacité de l’espèce humaine d’évoquer la mémoire des victimes. Leanne L’Hirondelle
    1. Castillo, Réflexion de l’artiste, 2009 2. http://weber.ucsd.edu/~anthclub/quetzalcoatl/maya.htm 3. http://saints.sqpn.com/saints-l/ 4. Castillo, Réflexion de l’artiste, 2009 5. Benjamin Walter, édité par Demetz, Peter. Reflections, Schocken Books, New York 1986, 314 pages-32.