Thursday, January 10, 2002 to Saturday, February 23, 2002

    Opening
    • Friday, January 11, 2002
    Les preuves ont été rassemblées. Toutefois, à vrai dire, je suis mal prise. Jai entendu parler des plans de Karen Henderson, quoique la vérité sous-jacente tient à ma certitude que je ne leur connais absolument rien. Je peux en décrire les intentions et la matière en mouvement. En dautres circonstances, ils me paraissent séduisamment clairs en tant quidée, tout en mintimidant par leur côté vague quand je pense à eux en terme de présence ou dévénement. À prendre en considération : « À linstar de lesprit, le temps ne peut être compris en tant que tel. On connaît le temps indirectement par les événements qui le marquent; en observant le changement et la permanence; en inscrivant la suite des événements à lintérieur de cadres stables; et en remarquant les contrastes émanant des diverses fluctuations du changement. » * Je me suis nourrie dune série de faits trompeurs. Parmi eux, ma conviction erronée de détenir un sentiment de contrôle qui découle du fait dexpliquer la nature et lexistence dune chose. En ce moment, les petits détails infimes auxquels je songe me place à une distance immuable et désagréable. Si je reviens sur mes pas, quelque chose me sautera peut-être aux yeux. Je me trouve à lextrémité sud de la Galerie 101, dans la salle dexposition au deuxième étage, avec tout lattirail du photographe derrière moi : plusieurs sacs, étuis, lampes sur pied, un trépied, un appareil photo 4x5. Tout près de moi se trouve le photographe recouvert dun grand tissu noir et qui sacharne à bloquer toute lumière étrangère. Il faut du temps pour aligner tous les cadres prédéterminés du mur blanc, du plafond et du plancher vide devant nous, pour cibler les lignes verticales et horizontales qui délimitent cet espace particulier. En attendant, jai assez de temps pour me demander si un espace donné est jamais vide. Assez de temps pour penser aux œuvres passées de lartiste et à sa poésie tranquille. Mais est-ce que le vide lair peut être poétique? Voyons les faits : des frenelles, des crochets et du fil de pêche pendent du plafond, vestiges dune précédente exposition; il y a des marques sur les murs et on y remarque la texture de la pâte de remplissage qui a comblé danciens trous. Et, bien sûr, rien nest à niveau. Les rampes déclairage, les poteaux dangle, les lignes de démarcation du plancher et du plafond, tous dévient de leur trait original. Jai entendu des gens qui disaient que cette salle est « belle »; une boite blanche avec des plafonds élevés, rendue moins caverneuse par la chaleur du plancher en contreplaqué coloré avec agencement de panneaux disposés en diagonal. Ce que je commence à comprendre, tandis que la caméra se braque sur le mur blanc éloigné, cest que lespace vide devient la chose en soi. Des instants consécutifs sont enregistrés dun point particulier dans lespace, attirant lattention sur « lici » qui nous entoure. Le trépied du photographe est fixé au plancher par des lisières de ruban adhésif et un étau est employé pour y ancrer lappareil photographique du mieux possible. Systématiquement, le photographe enregistre encore et encore limage du blanc devant nous, respectant ainsi les instructions très précises données par Karen. Je pense à limpossibilité de maintenir ces conditions. Les imperfections sont inévitables, les glissements se produisent : les lentilles peuvent se déplacer ne serait-ce que dun millimètre, une poussière peut se poser sur la pellicule. Nuls intervalles consécutifs ne sont identiques et pourtant, elle bâtit son œuvre, couche après couche, seconde après seconde, comme sils létaient. Le principe est que, une fois assemblés, les moments individuels seront alignés. Comment cette enquête basée sur le temps pourra être condensée dans un volume spécifié et comment lespace qui lentoure pourra être mis en mouvement demeurent pour moi des mystères. Encombrés de toutes sortes de difficultés, on peut aussi se demander jusquà quel point nous pouvons être attentifs à ce qui nous entoure. Nous pouvons vérifier où nous sommes et nous mettre daccord sur cette réalité tangible mais au bout du compte, comme lartiste elle-même le reconnaît, cest linstabilité de cette affirmation du réel qui nous confond. « Lactualité, cest quand le phare séteint entre deux clignotements de lumière : cest linstant entre les deux secondes sentendant sur une montre : cest lintervalle du vide glissant à jamais dans le temps : cest la rupture entre le passé et lavenir : le trou aux pôles du champ magnétique en rotation? Linstant de lactualité est toutefois la seule chose que lon puisse directement connaître. Le reste du temps émerge seulement sous forme de signaux qui nous sont relayés en dinnombrables étapes et par des porteurs inattendus. » * Jattends de regarder et métonne. par Deborah Margo
    * George Kubler's The Shape of Time - Remarks on the History of Things, Yale University Press, 1962.