Friday, October 23, 2009 to Saturday, November 28, 2009

    Opening
    • Friday, October 23, 2009
    Indiens explosifs, l’art de Roger Crait « J’en ai préparé une (capsule témoin). J’ai mis ensemble d’assez gros échantillons de dynamite, de poudre et de nitroglycérine. Ma capsule doit sauter à l’an 3000. Elle montrera à tous comment nous étions vraiment. » Alfred Hitchcock Roger Crait mêle couleurs, peinture et coups de pinceau comme des composés de poudre sur la toile pour créer des paysages de villes incendiées, exposant ainsi le paradoxe de l’expérience urbaine des autochtones et le faisant voler en éclats. Les peintures de Roger, qui révèlent la fatale condition humaine, se rapportent à l’invention imprévue de la poudre, d’abord utilisée par les Chinois pour fêter avec des feux d’artifice : l’art de Roger déplore le rôle joué par la poudre dans la guerre coloniale qui a mené au déclin des peuples autochtones en Amérique au bout du compte. Roger s’approprie ces histoires explosives pour imaginer un bombardement perfectionné de justice, d’espoir et de cynisme. Il témoigne d’un moment inventé de révolution et d’apocalypse, avec des bouleversements qui précipitent un retour à l’équilibre 1. L’iconographie de Roger se rapporte à son expérience, dans laquelle, sous des coups de pinceau déchaînés et des paysages de villes frénétiques, se cache des collages éphémères, comme des tipis, des insignes de l’American Indian Movement, des images et des logos indiens. Ces éléments cachés sont des indices qui manifestent un grand désir de retrouver les histoires et les terres des origines. Dans le travail de Roger, il y a une quête, comme un missile stratégique lancé pour trouver l’identité et l’appartenance dans la réalité d’un univers colonial de mondialisation. Dans sa peinture Give a Man a Fish, Roger brise la toile d’habitude rectangulaire pour créer un panneau coupé en forme de poisson. Le titre suggère le dicton : « Donnez un poisson à un homme; il aura à manger aujourd’hui. Enseignez-lui à pêcher; il pourra se nourrir toute la vie. » Toutefois, dans l’univers pop multicolore fataliste de Roger, la sagesse soi-disant transparente de ce cliché devient un dilemme franchement tragique quand il n’est plus possible ni de donner un poisson à un homme ni de lui enseigner à pêcher car tous les poissons sont morts. Dans sa série d’œuvres sur toile, Where’s the Shame in being a Shaman?, Space Shuttle- Bad Dream, Chaos, Museums, Drunktanks, Booscans and Banks and Babble on, Babylon…Babel on, des hélicoptères, des avions et des explosions remplissent le ciel dans une guerre sans fin. Les horizons sont remplis de représentations de machines volantes féroces issues de la culture coloniale, mais ces oiseaux d’acier sont aussi des messagers du Créateur qui communiquent les prophéties aborigènes au sujet d’un monde en perte d’équilibre8. C’est un conflit entre différentes idéologies, un combat secret et silencieux qui a lieu tous les jours au Canada en tant que pays colonisé, c’est une guerre entre les territoires d’indigénat, les frontières et la bureaucratie. En dépit, ou peut-être à cause de ce lourd passé, Roger exploite un sentiment d’ironie et de jeu sinistre dans son travail. Les histoires complexes, l’identité autochtone et les systèmes politiques deviennent un langage visuel. Il ne s’agit pas d’une iconographie ‘indienne’ de scènes pastorales représentant de nobles sauvages avec perles et plumes; non, c’est une iconographie sauvage de villes, de ciels et d’explosions. « Je ne comprends pas "l’art autochtone", ses symboles, les aigles, les plumes, les couchers et les levers de soleil, la signification des couleurs, le sens de tel ou tel animal, et ainsi de suite 2. » Bien que ses paysages urbains pourraient représenter n’importe quelle ville, il s’agit bel et bien de Winnipeg : Roger y a ses racines, qui font partie de son développement en tant qu’artiste, y compris ses affiliations avec des collectifs d’artistes comme le « 26 » ou « orangelab ». La plupart du temps, sur la scène de l’art contemporain de Winnipeg, il y a une grande urgence de s’exprimer et de diffuser l’expression, comme au Royal Art Lodge et chez d’autres artistes locaux qui ont attiré l’attention sur le plan international 3. La grande densité de population autochtone de la ville crée un environnement unique pour les artistes d’origine autochtone qui vivent sans cesse le tiraillement entre l’intégration urbaine et leurs racines. Éclatantes de couleur, les explosions fracassent l’horizon infini du ciel de la ville où l’on se bat, au-dessus des fleurs qui s’épanouissent dans les champs, les fenêtres cachées des gratte-ciels sont marquées du mot espoir, et les tipis qui cernent la ville surgissent comme une promesse de justice. Dans sa réflexion d’artiste, Roger demande à un ancien (qu’il ne nomme pas) de regarder son travail. Après l’avoir regardé, l’ancien s’est exclamé : « Oh! Tu es Cri… parce que tu peins avec des couleurs cries.4 » Roger se distancie de l’étiquette d’artiste ‘autochtone’; en même temps, il peint son monde comme quelque chose qu’il a reçu en héritage à partir d’histoires doubles et conflictuelles. Dans l’exposition récente Remix: New Modernities in a Post-Indian World, les organisateurs Gerald McMaster et Joe Baker encadrent le travail d’artistes autochtones de la relève. Ces artistes ne veulent pas refléter une identité autochtone ou tribale ‘traditionnelle’; ils ont plutôt envie de remettre en question les perceptions et d’exprimer de nouvelles identités visuelles. « Tous les artistes partagent divers degrés d’ascendance autochtone mais ils ne veulent pas être définis seulement par cela, affirme Gerald McMaster, commissaire de l’art canadien au Musée des beaux-arts de l’Ontario. Le monde est devenu une fusion de culture, de nationalité et d’ethnicité. Ces artistes utilisent leur héritage pour tracer une nouvelle voie, créant ainsi un caractère distinctif par rapport à celui de leur identité tribale passée5. Roger appartient à cette génération d’identités autochtones de la relève. Dans sa peinture triptyque Control, Conquer and Consume, on peut lire un examen de la question de l’identité nationale versus l’identité personnelle et autochtone. L’artiste s’approprie le drapeau du Canada pour demander : « La voix du sang est-elle plus forte que celle du pays? » Roger ne peint pas une leçon d’histoire, il en régurgite une. Le nationalisme canadien, tel qu’il est représenté par le drapeau, est déconstruit, il se répand, la peinture rouge dégouline, le nationalisme est remis en question et il est barbouillé. Dans Unfinished Business, une œuvre surprenante de minimalisme, Roger fait naître des théories de salle de classe et de destinées manifestes. La surface de l’œuvre ressemble à un tableau noir barbouillé de correcteur liquide dans le coin supérieur gauche, avec les mots unfinished business (choses à régler) écrits en charbon noir de part en part de la surface. Tout cela semble simple, mais les associations sont pleines de sens. On utilise les tableaux noirs pour donner des leçons officielles, pour imposer des points de vue coloniaux aux histoires et aux identités autochtones, aux territoires blanchis et aux systèmes culturels complexes. Il y a encore bien des ‘choses à régler’ quand il question de justice sociale et d’égalité pour les peuples autochtones. Le sens de l’humour fataliste de Roger et sa jovialité au sujet des récits coloniaux dominants sont incarnés dans la section installation d’objets trouvés de l’exposition. Eskimo Scenery consiste en un frigo à lait en acier inoxydable des années ‘50, couché sur le côté, vaporisé de blanc à l’intérieur avec les mots Eskimo scenery (paysage eskimo) écrits en lettres crénelées en charbon noir à la surface. Il parle des années 1950 comme « d’une époque où tout allait bien, avec deux enfants, de solides voitures en acier qui consommaient beaucoup d’essence, des clôtures blanches et des Eskimos.6 » Cette description des années 1950 est un regard satirique sur un racisme profondément ancré et une oppression systémique. Roger s’empare de cette période imaginée et nostalgique d’un Canada idéal pour la renverser, littéralement, sur le côté. En présentant le frigo à l’horizontal, avec son intérieur blanchi, l’artiste s’empare du symbole d’un récit de la culture dominante et le marque d’un graffiti sardonique, comme Marcel Duchamp l’avait fait avec sa latrine. L’écriture de la rue et le graffiti sont devenus des outils de prise en main personnelle dans le travail de Roger. Les lettres gribouillés de sa main et la griffe de sa perspective unissent les éléments de son travail, et il voit ses mondes pour « aborder des points de vue politiques à travers mes propres yeux, moi, un métis à moitié blanc et à moitié autochtone.7» Les peintures de Roger sont des éclats d’obus, qui semblent venir d’un monde où les grandes banques et la publicité institutionnelle ont infiniment plus de valeur que le savoir autochtone. La ville nivelle les fortunes, c’est là que tout le monde peut travailler fort pour atteindre en partie le rêve de la société de consommation si cher à la classe moyenne. Ses peintures sont les messagers qui archivent une société en ruine, des histoires cachées, des rêves apocalyptiques et d’infinies batailles pour la justice. L’esprit des messagers d’acier qui explosent dans des visions d’avertissement, et les fantaisies coloniales qui se dénouent, Roger accomplit tout cela avec ses paysages urbains frénétiques dans lesquels il joue un rôle, en marquant bien son territoire avec son écriture irrégulière, une revendication territoriale qu’il réalise sur toile. Tania Willard Tania Willard, de la Nation autochtone Secwepemc, travaille depuis plus de 10 ans auprès de la communauté autochtone, ses jeunes, ses histoires et son art. Diplômé avec spécialisation mention de l’Université de Victoria, son travail d’avant-garde pour Redwire Magazine, un magazine national de la jeunesse autochtone, a permis à l’organisme de devenir l’un des premiers organismes d’arts et médias indépendants autochtones gérés par les jeunes. Membre actuel du conseil d’administration du Aboriginal Curatorial Collective, Willard continue d’apporter sa contribution à l’art autochtone. Tania a fait une résidence d’artiste à la Gallery Gachet au centre-ville de Vancouver, du côté de l’East Side, une résidence d’auteur avec Native Women in the Arts et le Banff Centre pour travailler une œuvre de fiction. Les œuvres de Willard font partie des collections du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et de la Kamloops Art Gallery. Son travail récent avec le projet d’art écologique du parc Stanley met l’accent sur la présence et l’absence des autochtones dans le parc Stanley par le biais de la philosophie du cèdre, arbre de vie. Avec la grunt gallery, qui vient de lui accorder une résidence de commissaire, elle a organisé à l’intention de la communauté de la galerie une conférence sur les arts et veillé à la publication de Live in Public: The Art of Engagement; parmi ses projets récents d’exposition en ligne, notons Beat Nation: Hip Hop as Indigenous Culture, la rétrospective de Dana Claxton et le site de First Visions.
    1. Annoncée à différents temps et au moyen de nombreuses philosophies académiques et non académiques, y compris des philosophies autochtones, l’idée d’un monde hors d’équilibre est citée dans un document datant de novembre 1992, le ‘World Scientists’ Warning to Humanity’ signé par plus de 1 500 travailleurs scientifiques émérites de 71 pays, y compris plus de la moitié des gagnants des prix Nobel toujours vivants. « L’humanité et le monde naturel vont droit à l’affrontement. » i iUnion of Concerned Scientists, http://www.ucsusa.org/about/1992-world-scientists.html 2. Roger Crait, Réflexion de l’artiste, Galerie 101, exposition 2009 3. YOUNG WINNIPEG ARTISTS, (Plug In Institute of Contemporary Art, 14 mars au 31 mai 2003 (Organisée par Cliff Eyland et Carol Phillips http://www.umanitoba.ca/schools/art/galleryoneoneone/ywa.html 4. Roger Crait, Réflexion de l’artiste, Galerie 101, exposition 2009 5. http://www.ago.net/Remix-Exhibition-Redefines-21st-century-Indian-Artist 6. Description du projet de Roger Crait, Galerie 101, exposition 2009 7. Réflexion de l’artiste Roger Crait, Galerie 101, exposition 2009 8. On peut voir que les concepts autochtones d’équilibre sont plus enracinés dans une relation renouvelable et interdépendante avec la terre. Par exemple, dans un rapport de 1987 présenté à la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, le Rapport Brundtland fait grand cas du maintien des systèmes et du savoir autochtones pour coexister en équilibre avec le monde qui nous entoure. « Quelle ironie terrible… à mesure que le développement progresse systématiquement dans les forêts humides, les déserts et autres régions éloignées, il tend à détruire les seules communautés culturelles qui avaient montré leur capacité à vivre en étroite harmonie avec leur environnement naturel. » ii ii Le rapport de la Commission Brundtland, Notre avenir à tous, publié par l’Oxford University Press en 1987.