Dans notre monde fondé sur l’échange, l’objet partage nos espaces de vie, les envahit et les régit largement. L’objet est un point nodal où se condense notre relation au monde et aux autres. Nos modes de vie, nos valeurs doivent constamment se mesurer à la logique marchande et fétichiste pour que subsistent une logique du désir qui soit gratuite, une fonctionnalité qui ne soit pas performative, une fascination et une magie qui n’équivalent pas à une homogénéisation.
L’exposition Objets de convoitise, objets de tractations vise à créer des situations interpellant les spectateurs quant à leurs relations et aux valeurs qu’ils accordent aux objets de la vie quotidienne et de la consommation. Elle rassemble un certain nombre de productions en art contemporain qui s’intéressent à l’objet et aux différents niveaux de projection fantasmatique dont il est l’opérateur. Les espaces d’exposition sont aménagés de sorte à créer une ambiguité entre les modes d’étalage du commerce de détail et ceux propres à la galerie d’art. Ce mode de présentation participe de la mise à distance de l’objet et du questionnement de son statut opérés par les œuvres de chacun des artistes présents dans cette exposition.
Les œuvres de James Carl jouent directement d’une telle simulation de la mise en valeur commerciale d’objets industriels fabriqués en série. Pneus, marmites à riz, briquets surdimensionnés faits de coroplast aux couleurs vives sont ainsi assemblés sur divers présentoirs ou empilés au sol. Objets d’art très ambigus qui ne sont pas sans rappeler les « boîtes Brillo » de Warhol et s’inscrivent dans une entreprise de recyclage des matériaux et des objets de consommation courante tout en effectuant une mise en question de l’énorme production de déchets domestiques et de l’usage des ressources. La mise en relation de ces objets sériels avec certains autres, comme un trophée de la Coupe Stanley ou des dessins jouant de la dimension emblématique d’icônes commerciales tels le cornet de frites, souligne la dimension fétichiste de notre relation aux objets.
Les œuvres de Claudie Gagnon, imposantes accumulations de coupes de verre récupérées dans les brocantes, nous plongent plutôt dans l’univers de la féérie et de la fascination. Illuminées de l’intérieur, elles rappellent la magnificence d’un lustre ou d’une pièce montée de verre ou de glace. L’objet banal et commun se voit tout à coup transposé dans un univers festif et baroque qui n’est pas sans relation avec la féérie dont se parent les grands magasins à la Noël ou en relation avec le rite du mariage. Chez Claudie Gagnon, l’objet de brocante est plus généralement le moteur d’une narration poétique, notamment dans les tableaux vivants qu’elle met en scène, ou la source d’une redécouverte et du merveilleux, dans ses pièces réalisées sur le modèle du cabinet de curiosité. L’objet libéré de sa fonctionnalité est réinvesti par l’inattendu.
Liquidation Niko et ses amis, de Nicolas Baier, relève d’une sorte d’inventaire de l’environnement domestique et des objets de tous les jours. Représentation faite de photographies de divers formats, installées au sol, au mur et dans l’espace, elle assemble des objets magnifiés ou des détails d’objets, des corps tronqués, des motifs décoratifs et des textures de surface traités en gros plans, en série ou en grillage. L’ensemble évoque le chaos des liquidations d’inventaires ou des ventes de garage, mais est de fait articulé, de façon complexe et souple, par une structure en grille et ses multiples références à l’art moderne. Tout y est interchangeable et vaut comme élément d’un « système d’objets » qui filtre notre relation au monde et aux autres et qui est ici le véritable enjeu de la représentation.
Dans Darboral (ubiquité et cohabitation interne), Massimo Guerrera met en scène l’objet comme motif et résultante de processus d’interactions et d’échanges. On y retrouve des matériaux bruts et des objets ergonomiques dont les fonctions apparaissent problématiques, avec leurs références à la fois au vêtement, à la prothèse, au mobilier et au simple contenant de nourritures offertes au visiteur. Un nombre important de photographies y rendent compte des rencontres et performances qui ont présidé à la fabrication des objets, tout en devenant parfois elles-mêmes l’objet de manipulation et de transformation. à la logique déréalisée des corporations et du commerce, Massimo Guerrera oppose des enjeux de proximité, de rencontre et de créativité. L’objet vous désigne et vous interpelle; il sollicite votre présence et vous invite à le manipuler. Il ne vaut que comme indicateur de potentialités inusitées.
De la convoitise aux tractations de tous ordres, l’objet est un miroir de nos interactions et des enjeux de notre société.
Objets de la vie quotidienne, objets de consommation courante, objets de valeur, objets recyclés, objets d’échange… Objets de curiosité, objets de projection, objets de convoitise, objets-fétiches… Objets de collection, objets de culture, objets d’interactions... (Jacques Doyon)
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Friday, March 30, 2001 to Saturday, May 12, 2001
Opening- Thursday, August 23, 2001
