Marche lente. Certainement, il doit y avoir un but, mais il ne faut pas se presser. Au lieu de cela, il y a l’errance et l’émerveillement, sans hâte.
La maison est solidement encastrée entre deux autres maisons. Un tas de bouts de bois attachés ensemble et étalés sur un porche aux marches basses donnent une idée du résidant des lieux. Comme j’ai récemment vu la sculpture de l’artiste, faite de bâtons de chêne et de wampum, j’ai la quasi-certitude d’être à la bonne adresse.
Répondre à la mémoire, c’est honorer une acceptation personnelle des expériences.
L’endroit semble inhabité. Aucune fenêtre n’est ouverte. Tout est solidement fermé.
Je cogne à la porte d’entrée. Une fois accueillie à l’intérieur, je comprends que ce qu’on avait soigneusement caché du monde extérieur était un mur d'une chaleur intense.
Avec les fenêtres occultées, toutes les vues sur l’extérieur sont obscurcies. Les carrés de fenêtre des puits de lumière au plafond sont les seuls témoins de la lumière du jour; tandis que nous parlons, c’est comme si l’après-midi torride se trouvait ailleurs.
On me donne deux feuilles de « Vestiges ». Des pages de feuilles mobiles. Une ligne d’écriture manuscrite près du milieu de chaque page. (Pourquoi pas ailleurs sur la page? Pourquoi, si explicitement, au milieu?) Et puisque je les ai vues épinglées avec soin au mur, il ne m’est pas possible de les méprendre pour des accidents.
Il me donne :
Essaie de ne pas te faire trop de souci.
Je t’ai laissé quelques trente sous.
Comme c’est parfait! Comme si je pouvais arrêter de m’inquiéter! (J’essaie d’éviter de me faire du souci.)
Mais à propos des trente sous? (De l’argent de poche pour un enfant. Tenter de choisir une barre de confiserie...)
L’écriture manuscrite d’un passé depuis longtemps disparu. Le petit pincement qu’elle occasionne à ceux qui peuvent la reconnaître; le travail de la main, familier malgré son déplacement dans le temps, combiné à la duplicité de la reproduction. J’ai été déjouée, j’ai cru lire une véritable écriture manuscrite plutôt que son imitation obtenue par lecteur optique.
Les notes originales et les lettres ont été laissées derrière avec les bons vœux et les mots d’intimité les accompagnant. Des traces de prévenance détectées dans les mots écrits avec détachement.
Est-ce que ce sont des aphorismes? des insinuations? des cadeaux?
Je repense aux vers de poésie que j’ai trouvés à l’improviste dans le wagon du métro, inséré entre deux réclames de virilité, en route pour me rendre chez Greg :
« Une vie peut être remplie
de toutes petites pertes ou, pleine,
tout autant, de petits cadeaux intenses »
Quelque chose de retrouvé. Quelque chose qu’on a dégagé, soigneuseusement conservé, et qu’on pourrait facilement ne pas voir.
La voix de l’auteur espère et persiste, bien qu’elle puisse facilement être ignorée.
C’est comme si l’auteur disait : « Bien que la note, la phrase, est une preuve suffisante de mon absence dans ce lieu ou ailleurs avec toi, j’envoie un message, une substitution, pour que tu le saches. »
« J’espère », « Tentatives », « Remerciements ». Ce sont les signes routiniers, des substitutions pour des messages non dits comme « J’ai pensé à toi », « Je me suis rappelé de toi », « Je veux que tu saches encore une fois que je t’aime ».
La présence n’a peut-être pas besoin de corporel tangible après tout.
Que font les feuilles de papier en ce moment dans la galerie, près de la fenêtre dégagée? Quels messages apparemment quelconques – toutefois dans leur isolation répétée, étrangement urgents – nous transmettent-elles maintenant? Les photographes ne font-ils pas la même chose, quoique par l’image? Et si nous considérions ces médias identiques mais différents?
Encore une fois, il faut du temps pour se faire rappeler les choses. Pour les prendre pour des signes de ce qu’on nous demande de faire.
Aucun besoin d’une distance ironique.
Imaginez-vous vous emparant d’une des feuilles de papier tandis que vous vous déplacez au deuxième étage. Listes tendres. Minces, délicates, non durables, précieuses, comme les photographies.
Les deux, feuilles et photographies, ont été créées pour être reproduites à l’infini, dérivées de petits événements remarqués ici et là. Des situations qu’on a vues, dont on témoigne et qui sont maintenant passées.
Imaginez l’artiste marchant, trouvant, collectionnant. Les phrases qui l’accompagnent constituent l’entreprise avant même qu’elle n’ait commencée.
Traduit par Marie-Thé Morin
Les textes en caractères gras sont signés Greg Staats. 1Rhea Tregebov, “Elegy for the Gift (Elegy for the Light)”, The Strength of Materials, Wolsak and Wynn, Toronto, 2001, p. 66. Conjointement avec l’exposition, Staats lance son catalogue bilingue publié à compte d’auteur et intitulé Greg Staats: Animose, avec un essai de François Dion et un design de Lewis Nicholson. Staats publie ce catalogue avec la Galerie 101.
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Thursday, October 17, 2002 to Saturday, November 30, 2002
Opening- Thursday, October 17, 2002