Friday, March 7, 2008 to Saturday, April 5, 2008

    Opening
    • Saturday, March 8, 2008
    Converser avec Chris Flower, c’est un peu comme jouer au billard électrique. Des réflexions ricochent dans toutes les directions imprévisibles, elles dévient sur des objets, des mots, d’autres réflexions, des lumières s’allument et des cloches tintent. Son travail est tout aussi étourdissant, enjoué et intéressant. Une forme de curiosité sur le fonctionnement des choses – et surtout sur la façon qu’elles peuvent fonctionner autrement et, par conséquent, avoir des conséquences sur notre perception et l’ébranler – est au cœur de la pratique de Flower. Il se sert des matériaux avec une sorte d’imprudence maîtrisée qui ferait pâlir d’envie un bricoleur moins habile. Il démonte et reconstruit consoles de jeux vidéo, appareils photo numériques, scanneurs, téléviseurs et autres objets, avec la confiance d’une personne convaincue de pouvoir se débrouiller au milieu du désordre des pièces détachées. Le travail de Chris Flower est fascinant par sa magie technique, sa beauté formelle et sa familiarité toute simple. Dans l’esprit de l’alchimiste, à l’instar d’un toxicomane de la cause à effet compulsif, Flower donne « vie » à des objets inanimés en employant une force invisible. Box Videos (2001– 2006) À l’intérieur d’une petite boîte, une série de vignettes joue pour nous une action, en récrivant les lois de la gravité et en redéfinissant nos attentes. Un simple bagel se jette avec aplomb contre un cylindre de bois et tente de s’empaler lui-même. Une banane est bousculée par une brique et poursuivie sans relâche jusqu’à être réduite en purée. Canettes de Coke, bouteilles de bière, œufs crus, ampoules électriques et morceaux durcis de neige sont tous violemment tabassés dans cette chambre des tortures, ils sont cabossés et battus jusqu’à la compression en piles tristes et brisées. La boîte elle-même ne s’en tire guère mieux. Elle est trempée dans l’eau et l’encre, brûlée, percée et sciée, et frappée à coups de chaîne lourde. Tout cela, évidemment, est d’un comique irrésistible. La boîte, qui a aussi un côté moins sérieux, est le décor de nuages blancs et cotonneux qui flottent, de yeux en plastique exorbités qui explorent ce théâtre où des chats, un oiseau et un poisson rouge se fréquentent tranquillement (quoique en restant chacun dans leur coin). En se servant d’un vieux truc d’illusionniste, Flower place une caméra vidéo sur le côté ouvert de la boîte, de façon à ce que le contenu puisse être filmé quand la boîte est brassée dans tous les sens. Quand on regarde la vidéo sur un moniteur stable, le contenu de la boîte en mouvement semble défier les lois de la gravité parce que la caméra et la boîte étaient fixées l’une à l’autre. Mais qu’arriverait-il si l’écran lui-même était retourné dans tous les sens? Pendant des années, Flower a traité les écrans témoin de télévision à peu près de la même façon qu’il traite ses boîtes vidéo, c’est-à-dire comme des complices de création d’illusions. Ces téléviseurs, à l’instar de bien d’autres objets de tous les jours qui tombent sous la main de Flower, sont débarrassés de leur fonction habituelle et inoffensive, et sont transformés pour accomplir des exploits considérés bien au-delà de leur capacité. Spinning TV (2007) est une sculpture vidéo d’art cinétique en monocanal. Elle présente une vue en plongée d’un bol de fruits filmé au moyen d’une caméra vidéo tournante; l’image est ensuite projetée sur un écran plat mural qui tourne dans la direction opposée à 400 tours/minute. Les deux actions tournantes s’annulent et créent une sorte d’image de nature morte au mouvement oscillant : le centre de l’image est à peu près fixe mais les bords tournent et s’estompent graduellement pour créer un véritable effet de vertige. Paint (2006) est une série de vidéos en monocanal dans lesquelles de la peinture, du vernis, de l’encre et d’autres liquides pigmentés sont versés sur une surface vierge. La gravité étant la seule force qui intervienne, la peinture coule librement, elle change de direction à mi-chemin et se marie aux autres liquides pour former une gamme de couleurs et de motifs abstraits qui finissent par remplir tout le plan pictural. L’image que l’on reçoit, qui se développe graduellement et qui hypnotise, n’est pas sans rappeler les images satellite de la surface terrestre ou le fond d’une benne à ordures après un dégel printanier : ce jeu d’allées et venues fait ressortir la nature belle et dérangeante de ces liquides visqueux. Streetari (2007) est une installation vidéo à deux canaux qui prend la forme d’un « jeu vidéo cinétique ». Consistant en une petite boîte insérée dans une simple structure mécanisée en bois, le spectateur peut regarder d’en haut une scène de rue en miniature et voir la boîte osciller en manipulant une manette de jeu. En poussant des boutons, on actionne de petites jambes en métal qui tentent de botter un ballon qui roule d’un bout à l’autre de la boîte comme dans un match de foot. Ici, le but n’est pas de marquer des points : le défi du joueur, c’est de réussir à donner un bon coup au ballon avec les jambes en métal avec sa seule adresse manuelle. Toutefois, on comprend vite que les actions de la scène de rue correspondent aux images diffusées sur chaque télé, l’illusion étant rendue plus complexe quand le ballon de caoutchouc se promène en continu d’une télé à l’autre. Ici, le jeu innocent se transforme en surveillance médiatisée lorsqu’on découvre que les deux caméras miniatures installées sur la boîte filment tous les mouvements cinétiques et transmettent le signal en direct aux écrans de télévision voisins. Et dans l’image fixe de la ruelle urbaine, réside la possibilité que se produise quelque chose de sinistre. Tout à coup, la différence entre programme de jeu et écran témoin de surveillance s’embrouille. Le travail de Chris Flower teste les limites des forces contradictoires : contrôle et chaos, travail et jeu, extraordinaire et ordinaire. Cette qualité éveille notre sens de la curiosité et de l’émerveillement. - Jo-Anne Balcaen Jo-Anne Balcaen est une artiste et agente culturelle basée à Montréal. Elle a participé à la fondation du Star Wars Pinball Club, de courte durée, mais qui a organisé son premier et dernier tournoi au Royal Albert Arms Hotel à Winnipeg en février 1994.