Well Formed Data regroupe un choix d’œuvres qui ont en commun d’être liées par une certaine recherche esthétique et les images en mouvement. En explorant de nombreux sujets d’études et lignes d’enquêtes disparates, les vidéos montrent au moyen d’exemples fascinants comment prend forme le processus de recherche artistique. Les auteurs (plusieurs artistes, une cinéaste et un commissaire) utilisent une variété de méthodologies rhizomatiques. Ils jouent aux chercheurs biologiques, font des tentatives de journalisme d’enquête, s’amusent avec les tropes documentaires ou jouent le rôle du conférencier et du raconteur.
MARDIS Guillaume Désanges, Signs & Wonders, 65 minutes ,2009 Signs and Wonders est l’enregistrement d’une conférence performance donnée par Guillaume Désanges, commissaire français, au Tate Modern le 21 février 2009. Il s’agit d’une étude subjective des principales figures de l’art moderne, minimal et conceptuel. En utilisant une ligne d’enquête qui s’appuie sur l’investigation mystique, la présentation est illustrée au moyen d’un théâtre d’ombres joué sur scène, avec un simple rétroprojecteur, des acétates de couleur, des morceaux de papier et plusieurs accessoires de tous les jours. Joué avec modestie, Signs & Wonders est rempli d’un désir très sincère de montrer la mémoire, la réception et la transformation des images de l’histoire de l’art par l’utilisation d’une gamme de formes, de lumières et d’obscurités semblables, sans cesse changeantes. Cette démarche mesure d’une façon évasive et enjouée le potentiel d’illusion et de magie des pratiques artistiques qui sont parfois trop facilement reléguées au rang de la rationalisation. Signs and Wonders était coproduit par les Halles de Schaerbeek (Bruxelles), le Centre Pompidou (Paris) et FRAC Lorraine (Metz).
MERCREDIS Ursula Biemann , X-Mission, 40 minutes, 2008 X-Mission, la plus récente œuvre d’Ursula Biemann, artiste et cinéaste suisse, explore la logique de l’idée d’un camp de réfugiés en tant que zone extraterritoriale. En examinant le cas particulier des camps de réfugiés palestiniens, la vidéo adopte plusieurs points de vue : local, légal, symbolique, urbain, mythologique et historique. Au moyen d’un format qui joue autant sur le plan du cinéma documentaire que du journalisme d’enquête, X-Mission repose sur une série d’entrevues qui sont entrecoupées de montages vidéo multicouche, puisés dans des sources de première main et des téléchargements. Chaque entrevue tente de relever l’audacieux défi de donner un certain contexte d’enracinement à ce site exceptionnel, contesté et au passé très chargé. X-Mission est intentionnellement sursaturé d’images et d’informations, et demande aux spectateurs d’assimiler un déluge de contenus médiatisés. Pour faire face à ce défi, nous devons revoir comment nous avons appris à connaître ce lieu et comment, nous, Occidentaux, avons échafaudé dans notre imagination son contexte et ses conditions.
JEUDIS Falke Pisano, Studio Lecture, 42 minutes, 2006 Les performances, les vidéos basées sur le texte, les objets et les publications de l’artiste danoise Falke Pisano sont fondés sur une pratique d’écriture. Dans le cas de Studio Lecture, l’artiste aménage son studio comme un décor sans ornement dans lequel elle joue dans le style d’une présentatrice de journal télévisé. Elle raconte de grandes histoires et fabulations sur des sculptures publiques particulièrement abstraites, et commente leur reproduction et leur diffusion par la photographie. En se servant du langage comme moyen de repenser les possibilités de l’abstrait et de la sculpture, Pisano anime ses sujets comme s’ils étaient des objets générateurs de pensées. Les sculptures monumentales s’incarnent dans des notions d’instabilité, de transformation et de fragilité éphémère.
VENDREDIS Patricia Esquivias, Folklore I, II & III, 45 minutes, 2006 – 2010 Folklore I, II et III font partie d’une série continue de conférences vidéo de l’artiste Patricia Esquivias, née au Venezuela. L’artiste y explore l’Espagne, son histoire et son image populaire actuelle. Elle fait des choix parmi des cartes postales, des images d’album, de graphisme d’écran d’ordinateur et de clips vidéo pour comparer des événements d’importance historique aux histoires parallèles qui ont été enregistrées dans la mémoire folklorique collective. L’esthétique des conférences est modeste et il n’y a pas eu de répétition du texte qui raconte l’histoire. Esquivias aborde de front le processus de fabrication de l’histoire, en l’encourageant à titre d’activité démocratique, ininterrompue, perméable et participative.
SAMEDIS Susan Hiller, The Last Silent Movie, 20 minutes, 2007 Dans ses œuvres, Susan Hiller lève le voile sur des éléments de notre inconscience culturelle, en attirant l’attention sur ce qui est oublié ou invisible dans notre culture. The Last Silent Movie nous fait découvrir quelques enregistrements archivés de langues en voie de disparition ou aujourd’hui oubliées. La vidéo crée une composition de voix librement associées qui, du coup, ne sont plus silencieuses. Elles retrouvent leur voix parce que quelqu’un les écoute à nouveau. En tant que spectateurs, nous devons nous demander quelles sont les intentions derrière l’enregistrement original et les conditions entourant la performance des orateurs. Au travers du processus de déballage, les œuvres libèrent certains des fantômes et spectres qui hantent ces enregistrements sonores, ce qui nous permet d’entendre les mots et les voix de personnes presque toutes décédées aujourd’hui. Dans The Last Silent Movie, des voix chantent, d’autres racontent des histoires, certaines récitent des listes de vocabulaire et quelques-unes, directement ou indirectement, accusent l’auditeur d’injustice.
PROJECTION HORS SITE
Goldin+Senneby, Headless at Regus (avec Kate Cooper et Richard John Jones, cinéastes), 28 minutes, 2007 – en continu Jeudi, le 24 Mars, 2011, 15h00 Emplacement: Intelligent Offices Board Room TD Tower, 45 rue O'Conner, Ottawa 11e étage, Suite 1150 Pour plus d'information, contactez info@gallery101.org Le collectif suédois formé de Simon Goldin et Jakob Senneby travaille sur un projet en continu intitulé Headless qui enquête sur une compagnie étrangère enregistrée aux Bahamas sous le nom de Headless Ltd. À ce jour, cette ligne d’enquête est apparue dans plusieurs médias : un roman, plusieurs versions d’un film et une performance. Pour Headless at Regus, Goldin+Senneby ont commandé une version de cette enquête sous forme de film réalisé par les artistes londoniens Kate Cooper et Richard John Jones. Dans ce documentaire de style novice, les cinéastes questionnent des hommes et des femmes d’affaires, des académiciens, des enquêteurs privés et des personnages fictifs qui semblent avoir un lien avec la mystérieuse entreprise. Alors que nous découvrons les dessous de Londres, de Gibraltar et des Bahamas, chaque virage est enveloppé de mystère et mène invariablement à un cul de sac (ce qui procure une nouvelle occasion d’imaginer et d’inventer la prochaine étape de l’enquête). Cette enquête persistante mais incertaine s’incarne dans une performance ininterrompue pour les artistes. Avec cette intensité, le sujet, la méthode et le récit artistique ne peuvent être séparés les uns des autres. Well Formed Data est organisé par le commissaire invité Jesse McKee. Il est le commissaire des expositions du Western Front à Vancouver, et a obtenu une MA en Organisation d’expositions d’art contemporain au Royal College of Art, Londres (RU). Auparavant, McKee était organisateur de programmes publics à la Barbican Art Gallery, Londres; ses écrits ont été publiés dans C Magazine, Fillip Review, Fuse Magazine et Border Crossings.
X-Mission, essai vidéo par Ursula Biemann Texte de Nazzal Rehab X-Mission, essai vidéo d'Ursula Biemann Texte de Rehab Nazzal X-Mission, de l'artiste suisse Ursula Biemann, est un essai vidéo sur les réfugiés palestiniens. Réalisé dans le cadre de la recherche de Biemann sur les formes contemporaines de migration, l'essai vidéo de 35 minutes n'est pas un récit mais plutôt une superposition d’idées assemblées qui se rapportent aux camps de réfugiés palestiniens. En combinant des images filmées en direct, d'autres trouvées sur le Web, du texte, des effets visuels et des voix hors champ, l'artiste tisse un essai visuel qui nous permet de jeter un coup d'œil sur le monde des réfugiés palestiniens. Dans ce travail, parmi plusieurs autres questions, on nous présente des opinions sur la place unique qu'occupe le problème des réfugiés palestiniens en matière de droit international, de même que sur la question du contrôle des camps. X-Mission est un essai vidéo subjectif; il consiste en un « mouvement non linéaire et non logique qui s'abreuve à plusieurs sources de connaissances »
1. En règle générale, l'essai vidéo est contradictoire, irrationnel, réfléchi et subjectif; il a plusieurs points en commun avec le film documentaire. Selon Paul Arthur, le film d'essai est apparu durant les années 1950 « à titre de forme documentaire prépondérante dans le domaine de l'innovation à la fois intellectuelle et artistique »
2. Même s'il n'a pas de style distinct, le film d'essai comprend des éléments provenant de différents modes documentaires; bien souvent, « il mélange plusieurs époques qui s'entrechoquent afin de créer par superposition ce que nous considérons comme des temps littéraires. L'impression d'un assemblage formel est souvent renforcée par l'emprunt à des genres documentaires : vérité, poétique ou basé sur des problèmes sociaux. »
3 À l'instar des documentaires sociaux, les essais vidéo se penchent principalement sur des préoccupations sociales et résistent aux tendances commerciales; en conséquence, ils « ne cadrent pas souvent dans les catégories identifiées par les manifestations artistiques, les festivals de films et les conférences sur l'activisme ».
4 Selon Stella Bruzzi, la pratique du documentaire est devenue plus populaire au cours des quinze dernières années. La popularité du documentaire, et aussi du film d'essai, peut être associée à l'accroissement des activités militaires coloniales et à l'effet destructeur des technologies de guerre sur les populations civiles. La popularité de la pratique du documentaire est due aussi à l'avancement des technologies d'enregistrement des images et des moyens de communication qui sont de plus en plus accessibles. Cela dit, les réalisateurs de documentaires sociaux peuvent décider de ce qu'ils filmeront ou non; par contre, l'on s'attend à ce qu'ils éveillent les consciences et politisent le débat chez le public. D'habitude, les artistes engagés s'identifient à leur sujet et prennent souvent la défense des groupes qu'ils représentent. Bill Nichols insiste sur le fait que « nous nous attendons à témoigner d'un monde historique tel que représenté par une personne qui s'engage activement dans ce monde plutôt que de l'observer discrètement, de le reconstruire de manière poétique ou de l'assembler en usant de polémique »
5. Vidéo non linéaire qui se situe entre le documentaire et l'art, X-Mission contient de toute évidence des éléments provenant du documentaire participatif et vérité, et multiplie les interviews avec des personnes différentes. Toutefois, en mélangeant des esthétiques de formes fragmentaires aux principes politiques et à l'éthique du documentaire social, l'essai vidéo met l'artiste au défi de créer au cœur de son sujet un équilibre entre la reconstruction poétique et l'engagement politique sensible. Ne cherchez pas Biemann dans la vidéo, elle n'y est pas; toutefois, sa voix hors champ oriente la vidéo, notamment dans les séquences d'introduction et de conclusion. Néanmoins, son choix d'être « l'observatrice discrète », celle qui assemble les images et les histoires décousues du vécu des réfugiés, devient de manière frappante très politique. Paradoxalement, son essai vidéo est aux prises avec les tensions du conflit israélo-palestinien qu'elle tente consciemment d'éviter. En exploitant les caractéristiques non logiques et non linéaires de l'essai vidéo, Biemann étale une esthétique de film fragmentaire pour justifier une interprétation subjective du cas des réfugiés palestiniens. Mais comme dans toute question politique, celle des réfugiés palestiniens exige un point de vue historique large qui encadre l'ensemble de la question avec discernement, des détails et une perspective. Les gros plans d'humains qui souffrent sont indispensables aussi; mais soustraites de toute discussion dans l'action politique, la responsabilité et les causes profondes, ces images ne peuvent que renforcer les nombreuses déformations des faits qui se rapportent à la situation critique des réfugiés palestiniens et à la cause palestinienne en général. La séquence d'ouverture de X-Mission illustre la confusion qui se produira sans doute chez le spectateur. La vidéo débute avec de multiples images d'Afghanistan et de réfugiés afghans. Même si elles sont sans rapport à la situation des réfugiés palestiniens, ces images nous rappellent tout de même les conséquences des anciennes pratiques coloniales sur les populations civiles, des pratiques qui se répètent encore aujourd'hui. Cette séquence d'ouverture pourrait aussi refléter l'intention de l'artiste de lier la situation des réfugiés palestiniens à celle des réfugiés à travers le monde, un problème qui ne cesse de s'aggraver. Mais ce lien n'est jamais établi. Au lieu de cette introduction, le spectateur s'attend à une brève exposition historique de la situation des réfugiés palestiniens, qui est le cas le plus ancien et le plus important en matière de droit international. En effet, les Palestiniens ont été les plus affectés par le remaniement des puissances mondiales depuis le début du vingtième siècle. Lors de colonisation de la Palestine, l'empire britannique a joué un rôle déterminant pour provoquer les difficultés des Palestiniens après la Grande Guerre en publiant, en 1917, la Déclaration Balfour qui accordait au mouvement sioniste un état en Palestine. Avec la Deuxième Guerre mondiale et l'émergence de l'empire américain, un nouveau chapitre s'est ouvert dans la souffrance des Palestiniens. Le problème des réfugiés palestiniens a commencé tout juste après la Deuxième Guerre mondiale, en 1948, lorsque les deux tiers des Palestiniens ont été déracinés et dépossédés par l'état d'Israël qui venait d'être créé. On peut constater les conséquences pour les Palestiniens de l'après guerre froide et du 11 septembre 2001 par la manière que l'on qualifie de « terrorisme » l'auto-défense palestinienne (c.-à-d. résistance au colonialisme et à l'agression), alors qu'on désigne le colonialisme et la destruction qui y est associée par les mots « démocratisation » et « guerre contre le terrorisme ». Après son entrée en matière qui sème la confusion, Biemann choisit d'explorer la question des réfugiés palestiniens sous l'angle du droit international, ce qui laisse le spectateur avec plus de questions que de réponses. Par le biais d'une entrevue avec l'avocate américaine Susan Akram, X-Mission révèle une facette du rôle joué par les Nations unies dans la création du problème des réfugiés palestiniens et en néglige une autre : la création de l'état d'Israël en 1948. La vidéo présente une description des conséquences du nettoyage ethnique des Palestiniens et laisse de côté toute mention de la responsabilité d'Israël dans le déracinement des Palestiniens. Akram décrit les deux principales agences mises sur pied par l'ONU après l'expulsion des Palestiniens, soit la Commission de conciliation des Nations Unies pour la Palestine (CCNUP) 7 et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) 8. Celui-ci a été établi pour traiter les besoins de survivance (secours et travaux) des réfugiés. L'Office est toujours en activité aujourd'hui. La CCNUP était chargée de résoudre le conflit israélo-palestinien et de trouver une solution au problème des réfugiés basée sur leur droit de rentrer chez eux. Pour des raisons inconnues, l'agence a été « tronquée » deux ans après sa création, selon Akram. Chercheuse reconnue dans le domaine de la situation des réfugiés, Akram fournit néanmoins des détails pour expliquer les raisons politiques qui ont provoqué la dissolution de l'agence dans son plus plus récent livre, International law and the Israeli-Palestinian conflict : a rights-based approach to Middle East peace. La CCNUP a été créée après l'assassinat du Médiateur des Nations unies pour la Palestine. Akram écrit : « Dans son rapport d'étape datée du 16 septembre 1948, présenté aux Nations unies un jour avant son assassinat par des terroristes israéliens, le comte Bernadotte fixe des conditions particulières pour établir "une base raisonnable, équitable et réaliste afin de résoudre le problème des réfugiés". »9 Les Nations unies ont inclus les recommandations de Bernadotte dans la résolution 194, qui proclame le droit des réfugiés palestiniens de rentrer chez eux. La CCNUP a failli à sa mission à cause de « négociations stériles entre les parties concernées »10. Même si X-Mission n'évite pas la discussion sur le plan du droit international, la vidéo oublie de mentionner le refus d'Israël d'adhérer aux lois internationales. L'essai néglige aussi de rappeler la répugnance répétée de l'ONU à renforcer ses propres résolutions. X-Mission se tourne vers la question du contrôle des camps de réfugiés palestiniens. Cette fois, Biemann se concentre uniquement sur ce qui se passe au camp Nahr El-Bared au Liban. Nahr El-Bared, où vivaient 30 000 réfugiés, a été entièrement détruit en 2007 après de violents combats entre l'armée libanaise et un groupe de militants islamistes qui n'était aucunement lié au mouvement de résistance palestinien, mais se servait du camp comme base. Les réfugiés ont été déplacés durant cette bataille; leurs maisons ont été détruites et pillées. Un nouveau plan pour reconstruire Nahr El Bard a été conçu par les militaires libanais dont la principale préoccupation était le contrôle alors que l'objectif des réfugiés était de maintenir l'ancienne structure du camp qui sous-tendait leur identité et leurs droits. L'architecte qu'on voit dans X-Mission, Ismael Hassan, affirme : « (les réfugiés) vivaient dans des quartiers qui étaient des villages de Palestine; par exemple, les habitants (du village) de Safouri, quand ils sont arrivés ici, ils vivaient les uns à côté des autres, donc c'est le quartier de Safouri; ils veulent le conserver parce qu'il se rapporte à leurs origines et à leur droit de rentrer. » Les tentatives de contrôle des camps de réfugiés par les forces d'occupation israélienne et les régimes des pays arabes existaient bien avant la période de l'après guerre froide, comme le laisse entendre X-Mission. Les camps de réfugiés, après al Nabka*, sont devenus des foyers de résistance qui ont défié les forces d'occupation et les régimes arabes. À l'intérieur de ces camps, un mouvement de résistance populaire est apparu à titre de seul représentant légitime de l'ensemble du peuple palestinien. La destruction du camp de réfugiés remonte aux premières années qui ont suivi l'occupation israélienne de 1967. Eyal Weisman explique comment trois camps à Gaza ont été détruits afin de satisfaire les plans de l'occupation militaire au début des années 1970. Weisman affirme : « le plan quadrillé des routes, le long desquelles les agences de l'ONU ont établi des abris préfabriqués pour héberger les réfugiés de 1948, est devenu une agglomération chaotique de structures (...) et les forces d'occupation ne pouvaient que rarement entrer dans le camp. »11 * Le nom Al Nabka (dont la traduction est catastrophe) se rapporte au nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël en 1948, qui a abouti à des massacres et à l'expulsion de plus de la moitié de la population palestinienne de leur pays. Les espaces surpeuplés et les ruelles étroites des camps empêchaient les forces militaires d'arrêter les activistes et de fouiller les maisons. « En 1971, Sharon a donné l'ordre aux militaires de percer avec des bouldozeurs de larges chemins au travers de trois camps : Jabalya, Rafah et Shati. »12 Le même scénario s'est répété en 2002 dans le camp de réfugiés Jenin après que les forces d'occupation eurent détruit le camp. Quand le camp a été reconstruit, les forces d'occupation israéliennes ont imposé un plan afin de permettre à leurs chars d'assaut et à leurs véhicules militaires d'entrer à volonté dans le camp. En Jordanie, Septembre noir est gravé dans la mémoire collective des Palestiniens. C'est en 1970 que le régime jordanien a forcé le mouvement de résistance palestinien à prendre le maquis et à quitter le pays. En se tournant vers la Jordanie, X-Mission explore une autre dimension : le rôle que jouent les marchés mondiaux de capitaux dans la lutte palestinienne. Dans la vidéo, l'anthropologue Oroub El Abed fait remarquer : « les É.-U. ont offert à la Jordanie et à Israël un cadeau en échange de la signature d'un traité de paix; le cadeau consistait en la création de zones industrielles qualifiées (QIZ). » Ces zones consistent dans la main d'œuvre jordanienne, la technologie israélienne, des capitaux internationaux et des droits peu élevés dans le marché des É.-U. Selon El Abed, les femmes sont la cible dans ces zones, surtout les femmes réfugiées qui vivent dans la misère. Des QIZ ont aussi été accordées à l'Égypte, dans une tentative de normaliser les relations avec Israël. Toutefois, la perception qu'ont les populations arabes de la normalisation avec Israël est basée sur la fin du colonialisme en Palestine et dans les hauteurs du Golan. Elle est aussi basée sur l'achèvement de l'indépendance et de l'autonomie des Palestiniens, et le droit de rentrer des réfugiés. Depuis l'expulsion des Palestiniens de leur patrie, l'état d'Israël a fermé les frontières de la Palestine et empêché les réfugiés de non seulement rentrer et reprendre leurs propriétés mais aussi de visiter la Palestine; ces conditions ont détruit la société palestinienne. Parallèlement, Israël a ouvert les frontières de la Palestine aux Juifs seulement, ceux qui sont prêts à occuper le territoire et les propriétés confisquées aux Palestiniens par l'état d'Israël et le Fonds national juif. Dans ces conditions, les communautés palestiniennes éparpillées utilisent tous les moyens possibles pour non seulement survivre et résister mais aussi pour établir un réseau de communication. X-Mission met en lumière la façon qu'ont les réfugiés d'utiliser les technologies pour communiquer les uns avec les autres. Le projet de site Web intitulé 'Across Borders' (Au-delà des frontières) en est un excellent exemple. 'Across Borders' a été lancé en 1999 dans le camp Dihesheh près de Bethléem; le projet a ensuite pris racine dans onze autres camps au Liban, en Jordanie, en Syrie et à Gaza. 'Across Borders', comme d'autres moyens technologiques, facilite la communication entre les communautés palestiniennes; actuellement, c'est aussi un outil dont se servent plusieurs réfugiés pour décrire et présenter de façon détaillée leurs histoires de survie et leurs souvenirs. X-Mission est un projet morcelé et non logique qui n'a pas de cadre historique et politique. En explorant un tel sujet éminemment politique, Biemann comprend que le traumatisme et les horreurs du nettoyage ethnique des Palestiniens en 1948 ont été au cœur de l'organisation de la vie des réfugiés dans les camps et ailleurs. Les souvenirs des réfugiés, leur mythologie, leur aspiration à la liberté et l'indépendance, la structure des camps, même leur utilisation des technologies de communication ont tous été façonnés par leur sujétion au nettoyage ethnique par Israël. Dans son essai X-Mission, Biemann clarifie son intention et son choix d'une approche non dialectique du sujet : « J'avais l'intention de trouver une façon de parler des Palestiniens sans tomber dans la question du caractère inévitable de leur position face à Israël ou au conflit. Le but de l'approche non dialectique est de ne pas dévier des problèmes ou de dépolitiser le sujet en question; il s'agit d'éviter le piège des vieux arguments simplistes pour me permettre au lieu de repenser le cas en relation avec d'autres textes que j'ai travaillés au sujet des réseaux mondiaux de communautés contemporaines de migrants dans mes essais vidéos précédents. »13 Ici, la question est la suivante : est-il possible de parler des Palestiniens sans situer leur cas au sein du conflit israélo-palestinien? Quelqu'un peut-il aborder le cas des réfugiés (même d'un point de vue artistique) sans le lier à l'immunité dont dispose l'état d'Israël au plan du droit international? Les historiens palestiniens contemporains, comme Abu Sitta et l'historien israélien Ilan Pappe, implorent les spécialistes du cas des réfugiés palestiniens à se servir du nettoyage ethnique comme base de leurs recherches. L'approche est cruciale puisqu'elle met en doute le déni d'al Nakba et atteste le fait que l'expulsion des Palestiniens de leur patrie par Israël n'a pas cessé depuis 1948. Le déplacement interne actuel des Palestiniens de Jérusalem Est par Israël et la poursuite de la confiscation des terres révèlent que le cas des réfugiés palestiniens est directement lié aux pratiques coloniales israéliennes. Le déracinement ininterrompu des Palestiniens de la Palestine occupée dans le but de bâtir plus de colonies illégales réservées aux Juifs et des routes, et pour ériger le mur de l'apartheid à travers la Palestine occupée, nous oblige, artistes comme activistes, à voir au-delà de la rhétorique des discours théoriques contemporains sur les réfugiés. L'échec du 'processus de paix', vieux de deux décennies, pour résoudre le conflit israélo-palestinien indique que sans égalité, droits, dignité et le droit et le choix des réfugiés de rentrer chez eux, il n'y aura aucune solution viable à la souffrance ininterrompue des Palestiniens. Le non-respect continuel d'Israël du droit international représente le plus important obstacle à l'aboutissement d'une solution à ce conflit vieux de soixante ans. Il ne faudrait pas cacher ou tolérer la position d'Israël au-dessus des lois à chaque fois que la question de la lutte des Palestiniens en exil ou sous occupation est abordée. X-Mission nous offre un aperçu du problème des réfugiés palestiniens. La vidéo adopte de façon intentionnelle une esthétique fragmentaire. Mais est-ce que le portrait de l'énormité de ce testament et de cet exemple vivant de colonialisme ininterrompu peut être rendu de façon artistique au moyen de points de vue partiels et isolés? L'art peut-il représenté les victimes du colonialisme sans identifier le pouvoir colonial? Biemann est visiblement préoccupée par la situation critique des réfugiés partout dans le monde; toutefois, à travers son art, elle ne s'engage pas dans leur cause. Paradoxalement, ce désengagement la réengage dans les politiques qui préservent le destin désastreux des réfugiés, en particulier celui, tragique, de plus de cinq millions de Palestiniens déplacés.
Notes
1. Biemann, Ursula. Stuff it: the Video Essay in the Digital Age. Springer
Wien: New York, 2003, 9.
2. Arthur, Paul. “Essay Questions: From Alain Resnais to Michael Moore.”
Film Comment 39, no.1 (2003): 58.
3. Ibidem, 59.
4. Biemann, Ursula. Stuff it. Op. cit., 8.
5. Nichols, Bill. Introduction to Documentary. Bloomington, Indiana: Indiana
University Press, 2001, 116
6.Ibidem, 114
7. Assemblée générale des Nations unies
http://domino.un.org/unispal.nsf/0/c758572b78d1cd0085256bcf0077e51a?Open
8. The UN Agency for Palestine Refugees
http://www.unrwa.org/
9. Akram, Susan. International law and the Israeli-Palestinian conflict : a
rights-based approach to Middle East peace. Routledge: New York, 2011, 47.
10. Ibidem, 48
11. Weizman, Eyal. Hollow Land, Israel’s Architecture of Occupation.
London, New York: Verso, 2007, 69.
12. Ibidem, 70.
13. Biemann, Ursula. X-Mission, 1er décembre 2009.
http://www.arteeast.org/pages/artenews/extra-territoriality/249/